Les dépositions à l'audience

La première audience, le 30 septembre 2005, 13:15- au tribunal régional de Tokyo, salle 627
                                            le 30 septembre 2005

Déposition

                                [Adresse]
                                Malik Berkane

J’enseigne le français depuis 24 ans au Japon. C’est un travail qui me passionne car il est basé sur des rapports humains de respect et de confiance mutuels. En 24 ans, j’ai formé des milliers d’étudiants japonais désireux d’aller étudier en France ou dans des pays francophones, ou simplement de visiter ces pays. Nombreux sont mes étudiants qui sont restés en France plusieurs années et qui sont revenus au Japon avec des bagages solides en matière scientifique, en architecture, en mathématiques, et dans bien d’autres domaines encore, tels que la musique, la mode, la gastronomie. Enseigner le français, c’est ma profession, c’est ma vie et c’est aussi la responsabilité de gérer une école que plusieurs centaines de personnes fréquentes. En février 2003, Monsieur Ishihara affirmait dans une déclaration que la langue française était une langue inapte au calcul et qu’il était naturel qu’elle ne soit pas une langue internationale. Il réitère ses propos en 2004 et en 2005 et avec toujours plus de conviction. A quoi cela sert-il ? Comment ces propos ineptes tenus en public peuvent-ils servir de façon positive les relations entre le Japon et la France, car les propos de Monsieur Ishihara sont, non seulement haineux et racistes, mais ils sont avant tout faux et injustes ! Si on tolère ce genre de propos, alors un jour, certains pourront dire publiquement que les Français sont inaptes à la vie ! On a malheureusement déjà vu à d’autres époques que ça pouvait marcher.

Monsieur Ishihara a le droit de penser et de dire en apparté ce qu’il veut au sujet de ses problèmes personnels avec la France et la langue française, mais a-t-il le droit de le faire en public ? La vidéo dans laquelle il ment vertement en octobre 2004 au sujet de la langue française est restée visible 9 mois sur le site internet de la mairie de Tokyo. Combien de personnes on vu cette vidéo et ont été trompeusement influencées par les propos du maire de Tokyo ? Sur quelles bases M. Ishihara prétend-il que la langue française est une langue moins intelligente qu’une autre.

Je peux affirmer que sauf pathologie, aucun Français n’est incapable de compter. Une société ne peut exister sans compter, puisque les fondements-mêmes de toutes les sociétés sont basés sur les échanges et le commerce. Les mathématiciens français de Descartes à Lagrange en passant par Pascal et tous les autres se sont très souvent illustrés dans l’histoire des mathématiques et personne ne peut le nier. Mais je voudrais ici vous lire le message de soutien que nous avons reçu de M. Laurent Lafforgue qui est le dernier Lauréat en 2002 de la Médaille Fields qui comme chacun sait est la plus grande distinction mondiale en matière de mathématiques.

Je conseille vivement à Monsieur Shintaro Ishihara de demander aux mathématiciens de son pays leur opinion à propos des mathématiques françaises ou écrites en français: Sur 44 médailles Fields attribuées à ce jour, 8 l'ont été à des Français et 3 autres à des mathématiciens ayant effectué en France la plus grande partie de leur carrière.






Le maire de Tokyo affirme que la langue française est disqualifée sur le plan internationale.
Faux ! La langue française est parlée dans plus de 60 pays répartis à travers le monde.

La langue française est une des langues officielles de l’ONU.
La langue française est une des langues officielles des JO
La langue française est la langue officielle de la poste internationale.

Un pays, c’est une histoire, une culture, une société, des traditions, et le cordon ombilical qui relie et qui nourrit tout ceci est la langue et tout ce qu’elle véhicule, et cela, quelle que soit la façon dont elle se décline. Affirmer que la langue française est une langue inapte au calcul, c’est insulter la France et les Français et c’est aussi insulter toutes les personnes à travers le monde qui communiquent avec cette langue. Par ses propos irresponsables, M. Ishihara porte atteinte à la réputation et à la bonne marche des établissements qui enseignent le français au Japon.

En tant que Français, en tant que professeur de français, en tant que directeur d’une école de français, en tant que partisan de la diversité culturelle et du respect des hommes. j’exige des excuses de la part de M. Ishihara pour avoir tenu des propos mensongers et calomnieux à l’égard de la langue française dans le seul but de la discréditer auprès du public japonais.
Kazuyoshi Obata

en cours de traduction

La deuxième audience, le 2 décembre 2005, 10:00- au tribunal régional de Tokyo, salle 627
Naoko Nishikawa

en cours de traduction

Takanori Oishi

en cours de traduction


La troisième audience, le 3 février 2006, 10:00- au tribunal régional de Tokyo, salle 627
                                            le 3 février 2006

Déposition

                                [Adresse]
                                Odile Dussud

Il y a vingt ans que je vis au Japon avec ma famille. Après avoir enseigné la langue française comme chargée de cours dans les universités de Dokkyo, Gakushuin et à l’université des Jeunes Filles de Tokyo, je suis entrée à l’université de Tokyo. J’appartiens maintenant au département de littérature française de l’université Waseda. Mes trois enfants sont tous nés à Tokyo. Mon mari et moi avons fait confiance au système éducatif du Japon et nos trois fils ont fréquenté des écoles publiques japonaises.

Parmi les déclarations du gouverneur Ishihara, je ne relèverai pas ici l’affirmation selon laquelle il serait impossible de compter en français. Je voudrais plutôt souligner l’extrême danger des conceptions de monsieur Ishihara Shintaro concernant les cultures étrangères et les langues internationales.

Que ce soit à l’échelle d’une famille ou du monde entier, la valeur d’une vie ou les relations humaines se limitent-elles à des chiffres, à des questions de rentabilité ou des rapports d’argent ? On répondra peut-être que, bien évidemment, les échanges artistiques, culturels et intellectuels aussi sont nécessaires, mais que, justement, une seule langue connue de tous suffirait à diffuser partout les productions culturelles de chaque nation. Mais toute traduction, surtout philosophique ou littéraire, et quelque géniale qu’elle soit, n’est qu’une ombre de l’original, une recréation. M. Ishihara dit aimer Barbey d’Aurevilly : il l’apprécierait bien davantage s’il pouvait pratiquer cette lecture en français, j’en suis persuadée.

Une langue reflète la pensée et la sensibilité, la vision du monde, d’une communauté. Si le français a effectivement le statut de langue internationale, et a été parlé et lu par toute l’Europe cultivée des 18ème et 19ème siècles, c’est en particulier par la capacité qu’ont eu des penseurs comme Descartes ou les philosophes des Lumières, à inventer des concepts opératoires qui se sont répandus et ont efficacement contribué au développement intellectuel, politique et économique occidental.

Apprendre une langue, quelle qu’elle soit, c’est le seul moyen de comprendre sensiblement une autre culture, une autre pensée. Apprendre le français, en particulier, permet d’éclaircir en profondeur certains attendus ou développements de la culture occidentale telle que le Japon l’’a introduite depuis plus d’un siècle.

Mais ce n’est pas tout : la connaissance d’une langue étrangère donne également un regard neuf sur sa propre culture, une meilleure compréhension du fonctionnement de sa propre langue. D’où la nécessité d’apprendre plus d’une langue étrangère afin de multiplier les interrogations et les points de vue, de mieux apprécier la situation de son propre pays au sein de la diversité du monde.

Il me semble que le rôle de l’éducation, en dehors de tout souci de rentabilité, est justement d’offrir aux futurs citoyens cette possibilité d’ouverture intellectuelle et morale. L’école et l’université sont les seuls lieux où l’on ait la chance et le temps d’acquérir des bases linguistiques permettant une fréquentation approfondie de telle ou telle langue, telle ou telle culture à l’âge adulte.

Ce n’est peut-être pas le cas partout au Japon, mais jusqu’ici, j’ai cru apercevoir, dans les écoles publiques de Tokyo, de la crèche au lycée, une certaine curiosité pour les cultures étrangères et pour les langues autres que l’anglais, et j’en ai été particulièrement heureuse. Ainsi, une année, à la crèche fréquentée par mes fils, onze nationalités différentes étaient représentées parmi les enfants : lors de la fête du sport, les onze drapeaux avaient été soigneusement mis en évidence dans la cour. A l’école primaire, j’ai aussi été conviée à présenter ma langue pendant toute une matinée. Enfin dans les lycées municipaux, mes fils ont pu être initiés à l’allemand ou au russe.

Le français leur était bien sûr également proposé. Mais pour que mes enfants nés au Japon possèdent la langue de leurs parents aussi bien que le japonais, j’avais déjà passé avec chacun d’eux vingt minutes chaque jour à étudier les cours par correspondance de l’école publique française. Arriver à une bonne maîtrise de la langue familiale lorsqu’on vit dans un pays étranger exige certes beaucoup d’efforts de la part des enfants et des parents.

Qu’au moment crucial, donc, où les êtres se construisent avant d’entrer dans la société active, cette ouverture d’esprit, cette possibilité unique d’excitation intellectuelle et d’enrichissement culturel obtenues en particulier par le moyen de l’apprentissage d’une langue étrangère soient remises en cause par le système de valeurs de Monsieur Ishihara, c’est-à-dire pour de simples raisons de rentabilité, cela me paraît extrêmement dommageable. De plus, exprimées par un gouverneur de la ville, ces vues erronées concernant les langues étrangères risquent de s’enraciner chez les jeunes gens, en particulier, et cela m’inquiète fortement. Il est absolument nécessaire que Monsieur Ishihara rétracte ses propos.

Hiroyuki Kobayashi

en cours de traduction

La quatrième audience, le 24 mars 2006, 10:00- au tribunal régional de Tokyo, salle 627

                                            le 24 mars 2006

Déposition
                               [adresse]
                               Kenji KANNO

Je suis maître de conférences à la Faculté des Sciences humaines de l'Université municipale de Tokyo (UMT). Je n'ai pas signé le contrat de travail du nouvel institut universitaire, dit de Tokyo la Métropole, inauguré en avril dernier suite à la restructuration des anciennes universités municipales. Maintenant, je m'occupe seulement des cours de langue et de littérature françaises destinés aux étudiants restants de l'ancien régime, c'est-à-dire au-dessus de la deuxième année (de la troisième année en 2006), en traitant notamment l'histoire de l'antisémitisme, du racisme et du colonialisme en France et en Europe. Il y a trois ans, notre section de littérature française comptait douze professeurs. Six d'entre eux nous ont quittés depuis --- ou vont nous quitter prochainement. Et d’ici 2010, année prévue pour l'abolition définitive de l'ancien régime, le nombre de professeurs permanents de français sera réduit à deux.

J'ai décidé de participer à la partie plaignante de ce procès, en tant que membre de la section de littérature française de l'ancienne UMT, qui se trouvait à l'époque la plus concernée par les propos diffamatoires de M. Ishihara, maire de Tokyo, à l’égard de la langue française. Aujourd'hui donc, je centrerai ma déposition sur la situation antérieure au 13 juillet 2005, date du dépôt de la plainte par M. Malik Berkane --- sur la "génèse", si l'on veut, de ce procès.

Pour commencer, soyez attentifs, dans le discours de M. Ishihara, à la partie qui précède les propos diffamatoires concernant la langue française et qui ont fait le tour du monde :

Les types qui manifestent une opposition [à la suppression de l'actuelle UMT et à la création d'une nouvelle université] sont des gens vraiment [un ou deux mots inaudibles] conservateurs, rétrogrades si vous voulez. Je ne me préoccupe pas du détail, mais d'après ce que j'ai entendu dire au cours de la réforme universitaire, il y avait une vingtaine de professeurs d'allemand pour seulement 4 étudiants, et 8 professeurs de français pour zéro étudiant ! Moi aussi, j'ai appris le français autrefois, mais c'est une langue inapte au calcul. Il est tout à fait normal qu'elle soit disqualifiée comme langue internationale. Certains individus qui s'accrochent à une telle langue manifestent une opposition infructueuse.. C'est ridicule, et ne mérite même pas d'être pris en considération.
(le 19 octobre 2004, à la réunion inaugurale du “Tokyo U-club", organisation de support pour la nouvelle université municipale de Tokyo, dossier no 1 / 3)












Sur ce, si l'on me demande de dire le motif de ma plainte le plus clairement, le plus simplement possible, je m'expliquerai de la façon suivante, et en recourant à une métaphore. Mettons qu'ici il y ait un hôpital, et qu'il y ait une autorité qui le dirige et un responsable suprême qui représente cette autorité-là. Imaginez que ce responsable suprême ait tenu un jour, en public, les propos suivants :

Dans cet hôpital, il y a beaucoup de médecins, mais le nombre des patients est proche de zéro. D'ailleurs, la médecine qui y est pratiquée est inapte même à mesurer une tension artérielle. Il est tout à fait normal qu'elle soit disqualifiée d’ un point de vue international. Certains individus qui s'accrochent à une telle médecine manifestent une opposition infructueuse à la suppression de l'ancien hôpital et à la création d'un nouvel hôpital. C'est ridicule, et ne mérite même pas d'être pris en considération. Mesdames et messieurs, c'est justement pour cela que j'ai fait aboutir mon projet en bravant tous les opposants. Le nouvel hôpital sera merveilleux. Vous aussi, mesdames et messieurs, vous devez mépriser la médecine qui était pratiquée dans l'ancien hôpital et encourager la nouvelle médecine que nous inaugurons ici, aujourd'hui.











Après cette grotesque métaphore, revenons maintenant à notre effarante réalité. Le fait est que dans l'ancienne UMT, plusieurs centaines, même un millier d'étudiants apprenaient chaque année le français comme langue étrangère, et que dans la section de littérature française, il y avait constamment entre 50 et 60 étudiants qui se spécialisaient dans les études de la langue française. Malgré tout cela, le maire de Tokyo, responsable suprême de l'Université municipale, a déclaré en public que le nombre des étudiants de français y était proche de zéro et que certains individus qui s'accrochaient à cette langue inapte au calcul manifestaient ridiculement une opposition infructueuse à son initiative réformatrice.

Le plus souvent, la violence verbale de M. Ishihara va de paire avec le mensonge. Il ment pour renchérir sur sa violence, et il se laisse aller à la violence pour innocenter ses mensonges : un véritable cercle vicieux. Et comme vous le savez tous, il ne cesse de qualifier d'"imbéciles" tous ceux qui ne cautionnent pas ses propos. Il les désigne à la vindicte publique en les présentant comme des ennemis mortels de la société, il les invective le plus cruellement qui soit, comme pour, par là, doter ses propos de quelque valeur persuasive. Voilà le procédé habituel de M. Ishihara, homme politique, homme d'administration et homme de lettres. Et combien d'individus, combien de groupements sociaux et ethniques jusqu'à aujourd'hui ont dû souffrir des blessures infligées par les inépties de M. Ishihara !

Pour revenir à ce qui nous concerne, à plusieurs reprises le maire de Tokyo, voire des instances supérieures de la municipalité ont rendu publics des remarques mensongères et de faux rapports, comme vous pourrez le constater en consultant les dossiers ci-dessous mentionnés:

- Propos tenus par M. Ishihara, lors d’une conférence de presse, le 24 décembre 2003 (dossier no 35 / 08)
- Projet d'un "Cursus des études sur les cultures internationales" publié par l'administration universitaire de la ville de Tokyo sur le site internet officiel de la municipalité, le 5 février 2004 (supprimé depuis)
- Propos de M. Ishihara en réponse à l'interpellation d’un conseiller municipal M. Hidéo Onishi, le 2 mars 2004 (dossier no 35 / 12)
- Propos de M. Hiroshi Takahashi, administrateur général de la nouvelle Université municipale dans la revue La Finance, datée du 8 juin 2004 (dossier no 35 / 18)

A chaque fois, à quelques différences d’ordre numérique près, il a été réitéré que la demande pour l’allemand et le français auprès des étudiants de l'UMT était quasiment égale à zéro.

Des demandes de rectification se sont succédées de notre part :

-le 25 décembre 2004, la Faculté des Sciences humaines a adressé une lettre ouverte à la municipalité pour protester « Contre la falsification des informations concernant ladite faculté » (dossier no 35 / 09).
-le 27 décembre 2003, le mouvement "Réforme universitaire pour tous" a demandé une rectification dans son communiqué de presse (dossier no 35 / 10).
-le 19 juin 2004, les sections de littérature allemande et de littérature française ont adressé une lettre de protestation à la direction de la revue La Finance (dossier no 35 / 19)
-le 12 mars 2004, la section de littérature allemande a également envoyé une lettre au maire et à l'administration universitaire pour demander de nouveau la rectification des faux chiffres (dossier no 35 / 13, 14).
-le 31 octobre 2004, après les propos tenus par M. Ishihara à la réunion du "Tokyo U-club", la section de littérature française a publié sa « Protestation » (dossier no 4) et l'a envoyée à M. Ishihara avec accusé de réception.

Toutes ces demandes et protestations sont pourtant restées vaines. Elles n'ont pu obtenir aucune réponse de la part du maire, ni de l'administration universitaire de la municipalité, alors que les fausses informations, elles, continuaient à être divulguées dans la presse, et que la réforme universitaire se poursuivait jour après jour. Qui plus est, M. Ishihara a surenchéri, après le dépôt de plainte par M. Berkane, l'année dernière, en déclarant de nouveau lors d’une conférence de presse : « Je me suis renseigné là-dessus. Il y avait 8 ou 9 professeurs de français à l'Université municipale, alors que pas un seul étudiant n'y apprenait le français » (dossier no 7 / 2).

Imaginez que l’école, la société ou l'organisation à laquelle vous appartenez, et pour laquelle vous travaillez, soit qualifiée de gaspilleuse et d’inutile, et qu’elle soit abolie du jour au lendemain par un responsable suprême qui se permet n’importe quel mensonge, et professe n’importe quelle calomnie. Si vous faites cet effort d’imagination, alors vous comprendrez sans difficulté, la méfiance, le désespoir et la colère que les centaines d'enseignants, anciens et actifs, de l'UMT portent aujourd'hui à l'administration universitaire de la ville de Tokyo.

En écoutant ce qui a précédé, vous prendrez certainement conscience qu'il y a danger, ---- même si personnellement je crains qu’il ne soit déjà trop tard ---, dans le fait que le Japon a fini par devenir un pays où ce genre d'abus du pouvoir administratif se perpétue en toute impunité, sans qu'aucun contrôle ne soit effectué par le Parlement, ni par les autorités compétentes (y compris le Ministère de l'Education nationale), ni par des commissions extérieures civiles, ni même par les médias ou par l'opinion publique.

Pendant les deux ou trois années qui ont précédé les déclarations haineuses de M. Ishihara concernant la langue française, le Comité de réforme de la Faculté des Sciences humaines de l'UMT se voulait fidèle au principe de fond suivant, au sujet de la réforme universitaire : quoique la réduction quantitative du corps enseignant soit inévitable pour la réunification des quatre structures universitaires de la ville de Tokyo, leur capital académique et leurs ressources humaines devraient être mises en valeur pour créer une université digne du vingt-et-unième siècle. Tokyo est une grande ville internationale, jumelée de surcroît avec la capitale de la France. C'est donc toute réflexion faite sur la raison d'être d'une nouvelle université municipale de Tokyo, que les membres de la section de littérature française concluaient que l'on devait préserver une section d'études françaises, même sous la forme la plus "économique", couvrant le cursus universitaire depuis la licence jusqu'au doctorat, et que cela n'irait jamais contre la volonté des habitants de la ville de Tokyo.

En juillet dernier, lors de notre dépôt de plainte, les médias étaient plutôt enclins à la simplification du scénario : d'après certains commentateurs, nous, professeurs de français de l'ancienne UMT, nous nous serions entêtés dans notre refus de la coupe sombre envisagée, pour nous voir finalement réprimander et mater par le truculent maire de Tokyo. Ce n'est pas exact. Nous avions bien accepté la réduction du personnel (cela jusqu'à la moitié, même au tiers par rapport au système antérieur), à condition qu'une partie des chaires devenues ainsi vacantes fussent mises à profit pour les langues de la région Asie-Pacifique trop négligées jusqu'alors et pour les autres nouveaux domaines des Sciences humaines. Nous avons proposé cette restructuration dans l'unique but de conserver une bonne tradition multiculturaliste de l'ancienne UMT.

Comme je l'ai dit, nous avions demandé à maintes reprises au maire et à l'administration des statistiques précises et une évaluation sincère concernant l'enseignement des langues étrangères à l'UMT. Mais les chiffres avancés par le maire et les autres dirigeants n'étaient rien d'autre que de la falsification, de la manipulation et de l'exagération des données, visant toutes à faire douter aux yeux du public de la raison d'être des professeurs de langue et de littérature au sein de cette structure universitaire. Toutes nos revendications sont restées vaines, ainsi que je l’ai déjà dit. L'administration municipale n’a fait que répéter qu'elle n'avait aucune intention de dialoguer avec le corps enseignant actif. Et le maire M.Ishihara, lui, avait déclaré dès le début qu'il serait toujours prêt à liquider l'Université municipale, à la revendre à une entreprise privée, si le projet de réforme qu'il proposait se heurtait à l'opposition du corps enseignant. Toute la politique de la ville de Tokyo est là : ne jamais prêter l'oreille au personnel qui travaille sur place ; faire taire les réfractaires à force de menaces et d'invectives ; ne jamais répondre aux contestations aussi sincères soient-elles ; divulguer à la presse les seules informations qui conviennent à la municipalité et jamais rien d'autre... Cette politique imprègne toute la hiérarchie de l'administration municipale. On peut la retrouver également dans le refus obstiné de M. Ishihara de répondre à la lettre ouverte adressée par M. Malik Berkane.

J'ai parlé tout à l'heure de « la méfiance, du désespoir et de la colère » que nous portions envers l'administration universitaire de la ville de Tokyo. Mais vous comprendrez que ces sentiments furent les nôtres longtemps avant les propos de M. Ishihara concernant la langue française. De sorte que le 19 octobre 2004, quand nous avons appris ce que M. le maire venait d'énoncer à la réunion du "Tokyo U-club", le premier mot qui nous est venu était « Encore ! » accompagné d’un profond soupir. A l’un de mes amis qui m'a écrit par courriel : « C'est impardonnable. Votre section ne va-t-elle pas réagir ? », je me souviens d'avoir répondu : « Nous sommes tous consternés devant une telle stupidité. » Nous étions fatigués, en effet. Fatigués de protester, pour ainsi dire. Nous étions aussi résignés. Il nous a semblé futile de demander et de redemander à un tel personnage le retrait de ses propos, la rectification des chiffres et, a fortiori, la réévaluation exacte de notre travail quotidien. Cette résignation dominait --- domine toujours --- la partie consciencieuse du corps enseignant de l'UMT..

Il n'en était pas moins nécessaire d'inscrire la vérité dans l'histoire. C'est ainsi que le 31 octobre 2004 nous avons publié notre dernière « Protestation » en japonais et en français (dossier no 4) et que nous l'avons envoyée à M. Ishihara évidemment, et puis à plusieurs autorités publiques concernées. Elle a été citée et mentionnée sur un certain nombre de sites internet, mais elle n'a pu attirer l'attention d'aucune organisation représentative de la culture française et francophone au Japon (cela va sans dire du conseiller culturel de l'ambassade de France). Ainsi, ne rencontrant que l’inaction de la part des autorités compétentes et le sourire apitoyé des gens qui semblaient avoir congédié très tôt leur esprit critique, je me sentais vraiment entouré d'un mur de silence --- qui, malheureusement, caractérise la vie publique japonaise aujourd'hui ---, quand, quelques mois plus tard, j'ai su que M. Malik Berkane et son école "Classes de Français" avaient lancé un mouvement de protestation contre les propos de M. Ishihara. Je me suis immédiatement inscrit comme sympathisant et plus tard comme plaignant. Je m'excuse de cette expression quelque peu larmoyante, mais le dépôt de plainte par M. Berkane m'a semblé alors un dernier rayon de "bon sens" qui pénétrait par une légère fissure dans le mur.

C'est ainsi que notre Faculté des Sciences humaines a été abolie avec tous ses mérites. Le proverbe [japonais] dit : « Tuer le taureau en lui forçant les cornes ». Mais notre taureau a été tué sans être évalué, ni même reconnu comme un taureau. Le résultat en est l'exode de nombreux chercheurs vers d’autres universités, la baisse considérable du niveau des candidats qui se présentent au concours d'entrée, et le désordre et les contradictions de chaque jour dans le système universitaire... En effet, M. Ishiraha ne cessait de parler d'« une université qui n'a existé nulle part jusqu'ici ». Aujourd'hui nous pouvons enfin saisir le véritable sens de cette grandiloquente ironie.

Je juge que la fondation de la nouvelle université municipale, préparée dans un entrelacement de mensonges, et de calomnies, restera une grosse tache noire dans l'histoire de la ville de Tokyo. Je juge même que son existence est socialement invalidée par le fait qu'elle a été créée dans le refus obstiné des dirigeants d'admettre la fausseté de leurs déclarations et de corriger leurs excès verbaux. Je juge enfin que le Ministère de l'Education nationale, en autorisant l'ouverture d'une telle université sans le moindre égard au processus qui y a mené --- une université n'aurait-elle donc pas été le lieu d'une recherche sereine et ouverte de la vérité ? --- a commis une erreur irréparable dans la politique culturelle générale du Japon.

Je, soussigné, Kenji KANNO, maître de conférences à l'Université municipale de Tokyo (ancien régime), déclare avoir subi et continuer à subir de graves dommages causés par les propos mensongers et calomnieux tenus par M. Shintaro Ishihara, maire de Tokyo, notamment lors de la réunion du "Tokyo U-club", le 19 octobre 2004. Comme si nous, professeurs de français et d'allemand de l'Université municipale, nous avions longtemps exploité les contribuables de la ville de Tokyo en entretenant des salles de classe sans étudiant ; comme si, en « nous accrochant » à une discipline « disqualifiée » de point de vue international, nous avions été des opposants « rétrogrades » à la réforme universitaire, mus par des motifs intéressés ; comme si, enfin, nous nous étions contentés d'exercer dans l'institution académique d'un si bas niveau, dans l'enseignement des langues d'une telle futilité --- M. Ishihara, réitérant ainsi à maintes reprises en public les mêmes aassertions et calomnies, a porté une grave atteinte à notre honneur professionnel. J'en ai souffert, j'en souffre encore, et ma mémoire en gardera la trace jusqu'à la fin de mes jours.

Madame et messieurs les juges, j'exige de l'accusé M. Ishihara, maire de Tokyo, des dédommagements en bonne et due forme.

La onzième audience, le 13 avril 2007, 11:00- au tribunal régional de Tokyo, salle 627
le 30 septembre 2005

Déposition

                                [Adresse]
                                Malik Berkane

Comment ne pas s’indigner de voir qu’après plus d’un an de débats M. Ishihara ose finalement dire que c’est en tant que maire de Tokyo qu’il a sali la langue française et non pas à titre privé comme il l’avait déclaré au début de ce procès.

Comment ne pas s’indigner de voir que M. Ishihara se soucie si peu de ses administrés puisque ce sont eux qui paieront ses délires paranoïaques s’il perd ce procès.

Comment ne pas s’indigner de voir que M. Ishihara se soucie si peu de la justice de son pays puisqu’il n’écoute pas ce que les juges demandent.

Comment ne pas s’indigner de constater que la mairie de Tokyo à travers son site internet se fait le relais des propos racistes de son maire.

Comment ne pas s’indigner de voir qu’une ville raciste comme Tokyo souhaite accueillir les JO alors que les fondements du mouvement olympique moderne sont le rapprochement des peuples et le respect de la dignité humaine.

Comment ne pas s’indigner de voir que M. Ishihara veut les JO alors qu’il insulte la France et la langue française et que nous devons les JO modernes à un Français.

Voici Madame, Messieurs les juges, les questions que j’aimerais vous poser aujourd’hui.

Pour terminer, permettez-moi de vous dire que jusqu’à présent nous vous avons fourni tout ce qui était nécessaire pour que vous puissiez constater que les propos du maire de Tokyo étaient mensongers, faux et insultants, et combien ils étaient douloureux pour tous ceux qui vivent et travaillent avec la langue française.

Des messages de soutien du monde entier nous sont parvenus et l’issue de ce procès concerne des centaines de millions de personnes. En votre âme et conscience Madame, Messieurs les juges, je vous demande aujourd’hui de faire en sorte que la justice ne soit pas foulée du pied par une personne qui se croit au dessus des lois.

Nobutaka Miura

   -.> PDF
La douzième audience, le 22 juin 2007, 11:00- au tribunal régional de Tokyo, salle 627
Norikatsu Ngai

en cours de traduction