Le gouverneur de Tokyo traite le français par le mépris et l'injure


LE MONDE | 07.06.05 | 14h25 • Mis à jour le 07.06.05 | 14h59
TOKYO de notre correspondant

La mesure dans les propos n'est pas la qualité première du gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara, connu pour ses formules provocatrices et un populisme xénophobe souvent tourné contre les Chinois ­ responsables, selon lui, de l'augmentation de la petite criminalité.

Dans la même veine, il s'en était pris il y a quelques mois à la langue française : "Inapte au calcul, il est normal qu'elle soit disqualifiée comme langue internationale" , aurait-il déclaré. Propos aussi outranciers qu'injustifiés : l'école mathématique française, reconnue au Japon, a largement contribué, après la seconde guerre mondiale, à la diffusion de cette discipline chez les sientifiques japonais.


Une douzaine de professeurs de français s'apprêtent à attaquer en justice le gouverneur de Tokyo pour diffamation d'une langue qui figure parmi celles des Nations unies. Ce n'est pas la première fois que M. Ishihara est traîné en justice : il a déjà été l'objet d'une plainte déposée par 468 Japonaises à la suite de ses déclarations sur "l'inutilité des femmes après la ménopause" , employant pour désigner celles-ci le terme péjoratif de "baba" (la "vioque" ). Déboutées en première instance, les plaignantes ont fait appel.

Dans le cas des propos sur la langue française, le service de presse de la municipalité n'est pas en mesure de confirmer ou d'infirmer qu'ils aient été tenus, mais aucune mise au point ni démenti n'ont été adressés au quotidien Mainichi, qui les avait publiés. La municipalité n'a pas non plus répondu à une demande d'éclaircissements de son confrère Asahi.

Ce qui aurait pu rester une simple "ineptie intellectuelle" de M. Ishihara, selon la formule d'un de ses adversaires, a suscité une volée de protestations d'enseignants français et de leurs homologues japonais francisants.

Les propos du gouverneur de Tokyo sont d'autant plus alarmants, estiment-ils, qu'ils semblent confirmer le traitement subalterne dévolu à la langue française dans la réforme de l'enseignement concoctée par la municipalité de Tokyo.

Bien que, entre 1999 et 2003, le nombre des étudiants de français ait fléchi de 10 %, 240 000 Japonais l'étudient encore dans 500 des 670 établissements d'enseignement supérieur. Le déclin du français est dû à plusieurs causes : la décision du ministère de l'éducation de rendre facultatif l'apprentissage d'une seconde langue, la focalisation sur l'anglais, exigé par beaucoup d'entreprises, et l'essor du chinois et du coréen.

Philippe Pons
Article paru dans l'édition du 08.06.05