L'ONU dénonce la persistance de la xénophobie au Japon

LE MONDE | 12.07.05 | 14h38 . Mis à jour le 12.07.05 | 14h38
TOKYO de notre correspondant

Une politique d'immigration restrictive, un accueil frileux des réfugiés politiques une dizaine par an et l'absence de loi condamnant la discrimination raciale et la xénophobie : le Japon n'a pas bonne presse en matière de droits de l'homme. Une image que ne font que renforcer les propos racistes et injurieux de personnalités de premier plan telles que le gouverneur de Tokyo, Shintaro Ishihara. D'autant qu'aucune mesure n'est prise pour condamner de telles diatribes, qui violent, aux yeux de juristes, la Convention internationale sur l'élimination de toute forme de discrimination raciale signée par Tokyo en 1995.

Un rapporteur spécial de la commission des droits de l'homme de l'ONU, Doudou Diène, vient de passer un! e dizaine de jours dans l'Archipel à visiter les communautés victimes de discrimination et à rencontrer les organisations non gouvernementales ainsi que les autorités. En dépit de demandes répétées, le gouverneur de Tokyo n'a pas cru bon de le recevoir. "Puissance mondiale, le Japon reste une société insulaire et spirituellement autocentrée , estime M. Diène. Son problème est de concilier son poids politique et économique sur la scène mondiale avec cette insularité et aussi d'accepter davantage la diversité de sa propre culture."

Bien que le gouvernement japonais ait contribué de "manière pleine et entière" à sa mission, M. Diène a le sentiment que celui-ci "ne semble pas reconnaître la gravité du problème de la discrimination et être prêt à la combattre sur le plan politique. Il y a une dichotomie entre ce que les autorités admettent et ce que les communautés ressentent, dit-il. Le fait que le gouvernement ne condamne pas des personn! alités publiques qui par leurs déclarations enflamment la xénophobie est préoccupant" ..

Les étrangers au Japon sont moins de deux millions (1,5 % de la population). Dans le cas des 600 000 Coréens, souvent descendants d'immigrants forcés de la période militariste, le racisme est rampant. Moins prononcé qu'il ne fut, il reste à fleur de peau, comme en témoigne la violence verbale et parfois physique à l'égard de ressortissants nord-coréens à la suite des révélations sur les enlèvements de ressortissants japonais par des agents de Pyongyang dans les années 1970-1980. La mise en place par le bureau d'immigration, depuis 2004, sur son site Internet, d'un système d'informations anonymes sur des étrangers qui pourraient être en situation illégale est en outre considérée par la Fédération des barreaux comme un encouragement à la délation.

Les minorités de l'intérieur sont visées par des discriminations plus insidieuses. A commencer par les "gens des hameaux" (burakumin ). Ces Japonais, que rien ne distingue de leurs! congénères, sont près de trois millions. Ils sont l'objet d'une discrimination complexe, héritage des tabous qui frappaient des métiers considérés comme "impurs" (équarrisseurs, tanneurs, croque-mort). Abolie en 1871, la discrimination de ces hors-castes, fondée sur leurs lieux d'habitation, s'est étendue à tous ceux qui, au fil de l'immigration urbaine, venaient grossir les taudis ; elle prit la forme d'un ostracisme de la pauvreté renforcé de considérations hygiénistes.

La situation des 6 000 "hameaux" du Japon s'est améliorée par le jeu des "discriminations positives" que ces communautés ont obtenues, en matière de logement par exemple. Mais l'ostracisme demeure : bien que de telles pratiques soient interdites, des agences de détectives dressent des listes de "gens des hameaux" ou font des enquêtes sur l'origine d'un futur conjoint.

Les populations des marches de l'Archipel (Aïnous au nord, habitants d'Okinawa au sud) sont enfin victimes d'une discrimination! sociale et économique qui les pousse parfois à cacher leur or! igine. Le Japon a insisté sur son homogénéité raciale et culturelle depuis l'époque Meiji (1868-1912) afin de renforcer l'intégration sociale et la cohésion nationale en gommant les singularités régionales et culturelles.

Aujourd'hui, ce n'est qu'en redécouvrant le pluralisme culturel hérité de son histoire et en encourageant le multiculturalisme dont sont porteuses les minorités ethniques vivant dans l'Archipel que le Japon peut se construire une identité nationale qui corresponde au monde contemporain, estime Doudou Diène.

Philippe Pons
Article paru dans l'édition du 13.07.05